Tous les albums d’Anouar Brahem sont des sortes d’albums de voyage en musique, depuis son premier album, “Barzakh”- et “The astounding eyes of Rita” est son 11° album. “Barzakh”, sorti en 1991 – déjà chez ECM, le très sélectif label allemand de jazz créé par Manfred Eicher – nous promenait entre Raf Raf, Kerkennah, et le Belvédère, tous lieux situés en Tunisie certes, mais voyage néanmoins. “Astrakan café” était une balade entre Grozny et Dar es Salam en passant par Ashkabad; “Le pas du chat noir” puisait son inspiration dans Paris, ses cafés et ses manèges de rue; tandis que “Le voyage de Sahar” nous emmenait de Halfaouine à Cordoue en visitant toute l’Andalousie.
Pour ce dernier album, Anouar Brahem nous emmène entre le Liban, la Palestine et Djibouti – contrées, comme celles de ses précédents albums, réellement visitées autant que totalement imaginées. Et ce retour au Moyen-Orient, berceau du ‘oud, est l’occasion d’un retour aux sources pour l’artiste tunisien, avec une ambiance beaucoup moins jazz et plus orientale – entouré cette fois-ci de Klaus Kessing à la clarinette basse, de Björn Meyer à la guitare basse et de Khaled Yassine aux percussions (derbouka et bendir).
Le rythme qui domine ici est celui de la marche caravanière, longue marche interminable rythmée par le pas lourd de la basse, et animée par la mélodie dansante d’une clarinette qui ondule comme un vent léger sur une steppe désertique. Et c’est aux Routes de la Soie que l’on songe, en écoutant cet album – Asie centrale et esprit du nomadisme chers au coeur et à la sensibilité de l’artiste, au fil de tous ses albums.
Le titre de ce dernier opus emprunte à un poème de Mahmoud Darwich (1941-2008), “Rita et le fusil”, dont le livret nous offre la traduction en anglais, et qui commence ainsi:
“Entre Rita et mes yeux
Il y a un fusil
Et qui connaît Rita
S’agenouille et joue de la musique
Pour la divinité qui est dans ces yeux couleur de miel …”
Anouar Brahem sort environ un album tous les deux ans: sans se presser, en mûrissant à chaque fois son projet, il nous offre à chaque fois un disque qui nous enchante, nous émerveille, et nous emmène dans son univers, pays imaginaire où rêve et réalité, joie et tristesse, solitude et dialogue, se confondent. Anouar Brahem est le descendant de ces musiciens-voyageurs d’autrefois, un “‘achik”, musicien libre et plein d’amour, dont la musique est liberté pure donc, qui aime à parcourir le monde et à le chanter, et dont l’unique port d’attache est son instrument, et sa musique.