RADIO BABEL MARSEILLE, Vers des Docks et des Quais, Piment Rouge Production
Ce disque pourrait être la bande-son du formidable roman sur Marseille, «Banjo», oeuvre du romancier noir américain Claude Mc Kay publiée en 1928, écrivain qui décrit – avec enthousiasme – le métissage et le mélange des peuples et des musiques, dans le grand port international. Roman et thèmes qui restent plus que jamais d’actualité – et ce disque en est la preuve vivante !
Voilà un album bourré d’énergie, de créativité, d’inventivité… et de générosité ! Nos 5 compères de Radio Babel Marseille – qui ont l’air sur scène d’une sacrée bande de copains ! – font de la musique d’abord avec leurs voix («musica con la boca» disent-ils) – comme les matelots de tous pays, comme les gens de partout lorsqu’ils se retrouvent ensemble et ont envie de chanter mais n’ont pas d’instruments. Et quel autre instrument que la voix, et quel autre langage musical que des dialectes parlés dans divers pays, pour traduire le formidable métissage humain – et donc musical – de Marseille, qui perdure jusqu’à nos jours ?
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Le disque s’ouvre sur des bruits de mouettes et de sirènes de bateau (imitées à la voix), et sur des voix d’hommes parlant diverses langues, qui s’interpellent au loin : espagnol, italien, français, anglais… C’est l’introduction d’un chant collectif inspiré de l’Afrique, («J’ai senti m’appeler les tambours de l’Afrique…» nous annonce Willy Le Corre, voix leader), rythmé juste ici et là par quelques percussions.
Tout le disque se déroule comme un voyage à travers les différentes cultures et rythmes qui viennent se rencontrer dans le grand port méditerranéen : Amérique Latine («Barquito de Papel» sur un rythme cubain), Caraïbes, Afrique du Nord (avec Mehdi Laifaoui qui chante ici et là en algérien et sur une mélodie chaâbi), Corse (avec «Babel», chant polyphonique à la manière corse), et même Occitanie historique (avec «A la mar», en occitan). Et bien sûr la Marseille dont la légende canaille est née au XX° siècle, avec «La dame de la Joliette», récit d’un crime dans un bar du Vieux-Port, peut-être à cause d’une fille… : «Elle dansait le soir à l’American Bar…»
A travers des titres et des paroles comme ceux de «Barquito de papel» (la barque de papier), évocation des migrants qui risquent leur vie pour échapper à la misère (à Cuba et aux Caraïbes aussi) ou «J4» (du nom du quai n°4 de l’ancien port de la Joliette) qui parle des vieux Chibanis, ces immigrants nord-africains âgés restés en France, se lit aussi, et surtout, la formidable empathie de notre bande d’artistes-vocalistes, avec tous ceux qui sont venus à Marseille, un jour, en quête d’une vie meilleure… et dont ils sont eux aussi, finalement, les enfants :
«Assis sur les quais du J4 un Chibani rêve
Regardant s’éloigner les bateaux du port
Toi qui reviens du pays parle-moi de lui
Joue un air de là-bas dont j’ai la nostalgie
Qu’est devenu mon village où sont mes amis ?
Reverrai-je un jour les neiges de Kabylie?…»
Car le groupe est aussi métissé que la ville elle-même, avec Willy Le Corre, au patronyme breton, Mehdi Laifaoui, venu d’Algérie, Frédéric Camprasse, qui est Antillais, Mathieu Jacinto venu d’Auvergne et dont la famille vient peut-être de plus loin encore, et last but not least, à la direction artistique, Gil Aniorte-Paz, né en Andalousie de parents espagnols nés en Algérie…! «Chakchouka» marseillaise qui n’a rien d’étonnant ni de rare aujourd’hui.
Le jazz est présent aussi, bien sûr, musique optimiste qu’aiment les Marseillais. Car ne vous y trompez-pas : le disque est bourré d’énergies positives, et non de lamentations et de nostalgie pour le passé. Ces enfants et petits-enfants de migrants, ou migrants eux-mêmes, savent que la tristesse existe, la solitude, et la nostalgie du pays perdu, et justement… il faut chanter pour y remédier !