PORTUGAL: FERNANDO PESSOA


Autour de Fernando Pessoa, 2DVD & 1 CD, Christian Bourgois/Artofilms, Distrib. Harmonia Mundi


Un homme, sur scène, récite un texte de Pessoa, scandé par une batterie qui suit le rythme des mots, la pulsion du texte. Le comédien Frédéric Pierrot, remarquable ici, s’approprie totalement les pensées du poète portugais, tirées du Livre de l’intranquilité, journal intime de Pessoa. L’accompagnant, le batteur Christophe Marguet scande le texte à sa façon, et c’est ensemble, texte en prose et battements de coeur comme une respiration, mots en paroles et accompagnement en sons et silences, qu’ils nous donnent à entendre la poésie de l’énigmatique Pessoa.
        Enigmatique car Pessoa (1888-1935) se cachait derrière de nombreux pseudonymes – Alvaro de Campo, Ricardo Reis, Alberto Caerio,… – et, s’il connut quelque succès de son vivant, en écrivant dans des revues littéraires et créant la revue Orpheu, il gardait secrète une bonne partie de sa production littéraire: à sa mort on découvrit dans une malle plus de 27.000 textes qui n’avaient jamais été publiés ! Enigmatique car Pessoa se cacha de son vivant, non seulement derrière de multiples pseudonymes, mais aussi derrière l’apparence d’un sage employé de bureau, portant lunettes et chapeau – et un texte rend ici hommage au “patron Vasquez”, au “comptable Moreira”, au “caissier Borgès”, au “petit groom” et au “coursier bon à tout faire” qui furent longtemps ses collègues de travail, et qui ignoraient tout des activités littéraires de leur voisin de bureau…
       A côté de ce premier DVD du tandem Pierrot-Marguet autour de textes tirés du Livre de l’intranquilité, filmé sur la scène du théâtre Les gémeaux à Sceaux, le coffret nous propose un CD audio de ces textes, “à écouter dans sa voiture”, ainsi qu’un documentaire sur le poète, assemblant des analyses et commentaires de Robert Bréchon, biographe et éditeur du poète chez Christian Bourgois; de la traductrice Françoise Laye; de Frédéric Pierrot et Christophe Marguet, et de quelques autres.
      Et en regardant ces films, on se surprend à se dire que la technologie moderne nous permet de retourner à la source de la poésie, qui fut d’abord orale, pendant des millénaires, avant d’être écrite. Car lire de la poésie dans un livre et l’entendre dire, ça n’a rien à voir, et la différence est aussi grande qu’entre écouter un disque de musique, et assister à un concert (quelle différence alors, entre lire de la poésie dans un livre, et assister à un spectacle de poésie vivante…). Sans faire aucun commentaire, en interprétant – comme on le fait d’un morceau de musique – donc en faisant siens, les textes, en prose ou en vers, de Pessoa, Frédéric Pierrot nous en ouvre les portes, nous en facilite la compréhension, comme s’il nous prenait par la main pour nous guider vers ces mots et ces pensées qui l’ont touché, à cet endroit-là précisément, nous les rendant ainsi infiniment plus proches que si nous les avions seulement lus dans un livre.
        Sur les trottoirs de Tunis ou du Caire, on trouve à acheter des cassettes de poésie arabe, classiques ou contemporaines, à côté des derniers tubes américains ou moyen-orientaux; et sur les télévisions arabes, des programmes en prime-time permettent à des poètes vivants de venir déclamer leurs vers, ou à des amateurs doués de réciter les poèmes de leurs poètes favoris. En France, en dehors de quelques manifestations et festivals, la poésie reste encore trop souvent associée à l’écrit (ou, pire, à l’école) – et est quasiment absente de la télévision et des médias, qui conditionnent les goûts du grand public. Ce triple coffret, soutenu par la Fondation Calouste Gulbenkian, devrait donc réjouir les amoureux de Pessoa, et tous les amoureux de la poésie vivante. Un excellent outil pédagogique également, à destination des enseignants de littérature – et des écoles de théâtre…
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