ZAD MOULTAKA, Zajal – Opéra arabe, Abeille Musique
Le zajal désigne en arabe la joute poétique. Trouvant ses sources dans la Grèce antique, pratiqué plus tard à Rome, ce genre, qui voit s’affronter deux personnes, ou plus, dans des improvisations rimées, s’est répandu dans toute la Méditerranée: on le trouvait encore en Sicile au début du XX° siècle.
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Mais l’un des lieux où cette tradition antique reste extraordinairement vivante est le Liban. L’ethnomusicologue Suzie Félix nous avait d’ailleurs offert une transcription de l’une de ces mémorables soirées de compétition poétique dans l’ouvrage essentiel “Les chants d’Orphée – Musique et poésie” (en Méditerranée) (La Pensée de Midi/Actes Sud, 2009), coordonné par Catherine Peillon, par ailleurs directrice artistique du projet “Zajal” de Zad Moultatka.
Zad Moultatka est un compositeur de musique contemporaine, originaire du Liban, qui vit en France. Il fait ici un véritable retour aux sources, en nous offrant un spectacle – le dvd est un enregistrement live – où le zajal est restitué dans sa forme chantée presque pure: seul l’accompagnement musical des deux jouteurs – par l’ensemble contemporain Ars Nova – est contemporain. L’histoire est celle – véridique, qui se passa en 1909 et fut consignée par écrit – d’un poète célèbre de la montagne libanaise, Assaad el Khoury el-Feghali, dit Chahrour el Wadi), qui se voit défier par un jeune inconnu masqué… dont l’identité sera dévoilée à la fin de la joute.
Tous les amoureux de la poésie arabe, et du zajal en particulier, goûteront ce véritable feu d’artifice de rimes, de créativité… et de virtuosité ! Car le champion Assaad fait des demandes de plus en plus compliquées au jeune inconnu… que celui-ci honore immanquablement: fais-moi maintenant des rimes entralacées le somme-t-il; ou assonnancées; n’utilise aucune lettre “avec des points” (en arabe de nombreuses lettres ont des points, comme le I en français); utilise le tétramètre; fais-nous des rimes brisées; fais-nous un poème marin; sur une perdrix; etc… Et le jeune homme – interprété ici par la contre-alto Fadia Tomb-el Hage, cependant que le vieux poète est interprété par le comédien Gabriel Yammine – fait des prouesses à chaque fois. Si bien que le vieux poète s’incline à la fin:
“Jeune homme tu déjoues toutes les difficultés (…)
Ton art est immense, vaste comme l’océan
Ton chant, une coupe de vin
Où s’exhale le parfum de la treille”
Nous ne savons pas si la joute poétique libanaise, le zajal, est inscrit au Patrimoine Immatériel de l’Humanité – et sinon, il devrait évidemment l’être. Et nous sommes reconnaissants à Zad Moultaka de l’avoir fait revivre et de le valoriser ainsi aux yeux d’un public occidental qui ne le connaît pas forcément (l’oeuvre est une commande de l’Etat français). Et nous nous délectons, lorsque l’on connaît l’arabe et que l’on en goûte les sonorités charnelles et gourmandes (les “hâf”, les “aayn”…), de cette poésie orale chantée, déclamée, rythmée, que l’on prend plaisir à écouter comme on le fait d’une musique. Et lorsqu’on se surprend à déceler un rythme de dabké, la danse villageoise libanaise, dans telle suite de vers, on comprend pleinement les liens génétiques étroits qui unissent, depuis l’Antiquité en Méditerranée, poésie et musique, où les deux naquirent ensemble…
www.zadmoultaka.com