RAVI SHANKAR:
L’extraordinaire leçon, DVD, Accords Croisés/Distrib. Harmonia Mundi
Voilà un document formidable, qu’apprécieront tous ceux qui aiment, plus qu’écouter la musique, en entendre parler par ceux qui la font vivre, et nous l’offrent en cadeau.
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Ravi Shankar donnait un concert à la salle Pleyel à Paris le 1er septembre 2008. Le lendemain, il donnait dans ce même lieu une master class – une première pour lui, qui n’a jamais donné des cours qu’à des élèves en cercle restreint, comme il le racontera.
Voilà le point de départ d’un documentaire sur l’artiste indien le plus célèbre au monde, qui a célébré en avril 2010 son 90° anniversaire, fêtant ainsi plus de 60 ans d’une carrière internationale qui l’a vu collaborer avec les plus grands artistes classiques – Yehudi Menuhin, qui le fit connaître en Occident dans les années 50, Jean-Pierre Rampal, Zubin Mehta,… – mais aussi avec des figures du rock, du jazz ou des musiques contemporaines telles que George Harrison, guitariste des Beatles (qui fut son élève), John Coltrane (qui prénommera son fils Ravi), ou Phil Glass.
On suit Ravi Shankar dans son école de musique à New Delhi, où s’enseignent la musique et la danse, et où se donne chaque année un festival, qui mêle élèves indiens et occidentaux dans la même passion pour la musique indienne classique. On écoute parler sa fille, Anoushka, née en 1981 – son élève préférée! (“je m’énervais parfois contre mes élèves, mais jamais contre elle: elle était my little baby”, confie-t-il…) qui accompagne son père en concert depuis qu’elle a 13 ans, et qui, héritant du talent de son père, a sorti son premier album solo à 17 ans. Dand le DVD on entend jouer le père, bien sûr, Anoushka sa fille et héritière spirituelle, ainsi que les musiciens qui les accompagnaient lors du concert à Pleyel, et d’autres enregistrés en Inde.
Mais le documentaire vaut surtout pour tout ce que le Maître nous dit de la musique. S’exprimant à la caméra en anglais, Ravi Shankar raconte son apprentissage de la musique, pendant 7 ans, auprès de son maître Allaudin Khan: lever tous les jours à 4 heures du matin, et 14 à 16 heures de pratique instrumentale par jour… Il explique, au public occidental venu l’écouter à Pleyel, toute la complexité de la musique indienne, la différence entre la musique hindustani du Nord et celle, karnatique, du Sud, il parle des 72 échelles musicales, de rythmes à 16 temps, il fait entendre, en rythmant par la parole son percussionniste de tabla, toute la complexité de rythmes infiniment élaborés, qu’un Occidental a du mal à décrypter à la première écoute. Positif et homme de son temps, il explique la chance qu’offrent les nouvelles technologies – le disque, les enregistrements, la vidéo,… – aux élèves aujourd’hui, pour leur apprentissage de la musique, qui est ainsi plus rapide.
Mais il nous parle surtout de sa philosophie de la musique – qui est celle de la musique savante en Inde: non la musique en Inde n’est pas l’un des “Performing arts”, comme elle est souvent considérée en Occident. Car en Inde, musique et spiritualité ne font qu’un, et la musique est “dévotion”, dit-il. On voit d’ailleurs le Maître, au début de sa leçon à Pleyel, saluer le public en joignant les deux mains en prière, tête et yeux baissés un long moment. Et faire de même à la fin: gestuelle d’action de grâces familière à l’Occidental…
“Avant, l’apprentissage était plus lent, donc l’élève avait le temps de s’imprégner de tout cela: la philosophie, la religion…”, se souvient-il. Tout en restant optimiste sur l’avenir d’une tradition qui, selon lui, ne s’éteindra jamais: “L’esprit de la tradition est toujours maintenu. La vraie vérité (the real Truth) ne mourra jamais. C’est là pour toujours”, confie-t-il, rythmé par des images du film qui montrent les dévotions populaires dans les temples en Inde – offrandes de fleurs, purification par l’eau – et qui nous donnent aussi à voir, dans des costumes et des figures qui semblent inchangés depuis des siècles, des musiciens et des danseurs qui perpétuent, sous l’oeil d’une caméra, des arts enracinés dans un passé séculaire, et qui restent toujours vivants…
Tant de grands maîtres de musique ne nous ont laissé que des partitions écrites, ou, au mieux, de rares écrits ou lettres. Et nous mesurons la chance que nous avons de pouvoir désormais, grâce au film, écouter la voix, toutes les voix, musicales et parlées, des grands artistes d’aujourd’hui.
www.ravishankar.org – www.accords-croises.com