FRANCE-PROVENCE-MONDE : L’INSTITUT INTERNATIONAL DES MUSIQUES DU MONDE, À AUBAGNE

A AUBAGNE, PREMIÈRE ANNÉE SCOLAIRE RÉUSSIE POUR LA PREMIÈRE ECOLE DE MUSIQUES DU MONDE DE FRANCE

 

La classe de chants polyphoniques bulgares, autour de la professeur Milena Jeliazkova (3ème à g.)

Un concert de professeurs et un concert d’étudiants : pour clôturer la première année scolaire de son existence, l’Institut International des Musiques du Monde, première école de musiques du monde en France, basée à Aubagne en Provence, a organisé une véritable fête des musiques du monde, le 29 juin dernier, avec des musiques de Grèce, d’Argentine, de Chine, du Maghreb, de l’Espagne andalouse, ainsi qu’avec des danses du continent indien. Quelques semaines avant, nous avions passé une journée dans cette école de musique d’un nouveau style, imaginée et dirigée par une femme passionnée de toutes les musiques, Margaret Dechenaux.

Grave et concentré au-dessus de la cithare chinoise « gu zheng », Michaël répète pour la troisième fois la phrase musicale que son professeur, Sissy Zhou, lui fait répéter. Il s’agit d’être prêt pour l’examen de fin d’année qui décidera de son passage en deuxième année.

Nous sommes à Aubagne, un samedi de juin à l’Institut International des Musiques du Monde (IIMM), et Michaël fait partie de la première promotion d’élèves à avoir intégré le cycle de formation, en trois ans, que propose l’Institut. Ouvert depuis septembre 2017, l’IIMM est en effet la première école en France à délivrer une formation diplômante pour ces musiques du monde, instrumentales ou vocales, qui se transmettent depuis toujours, essentiellement de manière orale. 

Sissy Zhou, professeur de cithare chinoise « gu zheng », avec une élève.

« Les résultats dépassent nos espérances », confie Margaret Dechenaux, la chaleureuse et dynamique créatrice et directrice de ce conservatoire d’un nouveau type. « Pour cette première année scolaire qui s’achève, nous avons 56 élèves, qui viennent de diverses régions de France, mais aussi de l’étranger : Italie, Pays-Bas, Hongrie, Arabie Saoudite, Corée… ».

Pour cette première année d’exercice, 7 formations étaient proposées, chacune par un professeur issu de la culture concernée : cithare chinoise (avec Sissy Zhou); ‘oud (avec Fouad Didi) ; chants judéo-espagnols (avec Françoise Atlan) ;  chants polyphoniques bulgares (avec Milena Jeliazkova) ; doudouk et musiques d’Arménie (avec Lévon Minassian) ; musiques et danses hindoustanies (avec Maitryee Mahatma) ; chants de Grèce et d’Asie mineure (avec Maria Simoglou). Et outre les formations diplômantes, l’Institut propose aussi de nombreuses master-classes, qui couvrent un plus large éventail géographique, et ont attiré depuis septembre quelques centaines de participants : musiques brésiliennes, chants populaires italiens, bandonéon argentin, tabla indienne, flûtes kaval, percussions du Sahel, répertoires provençaux, etc.

Margaret Dechenaux, directrice de l’IIMM (à g.) avec notre reporter Nadia Khouri-Dagher

Comment expliquer cet engouement pour l’apprentissage des musiques du monde ? « Je m’intéresse depuis longtemps à la culture asiatique, et je suis tombé amoureux de la Chine quand j’y suis allé », explique Michaël, qui vient de Lorraine. « J’ai découvert là-bas la cithare gu zheng, et j’ai adoré ce son mélodieux et lumineux. Pratiquer cet instrument fait travailler mon coeur et mes idées, et m’apporte ce dont j’ai besoin. La pratique du gu zheng m’apprend une nouvelle façon de penser, une nouvelle philosophie, qui me pousse à être meilleur. Ça m’apporte de la sérénité, c’est toute une attitude.  Pourtant ce sont des sonorités inhabituelles pour un Occidental comme moi, car le système est pentatonique, c’est-à-dire avec une gamme à cinq tons, Do-ré-mi-sol-la ».

Dans la classe de chants judéo-espagnols que Françoise Atlan anime aujourd’hui, Anissa, qui est venue d’Italie, et qui pratique la flûte traversière, témoigne : « Ce répertoire de l’Espagne andalouse est chanté en ladino, qui est un mélange de vieil espagnol et d’arabe. Et les mélodies sont pareillement un mélange de mélodies arabes et de mélodies de la Renaissance européenne. Et pour moi qui suis née dans un couple mixte – mon père est algérien et ma mère est italienne, cette musique est comme le miroir de mon âme et de ma sensibilité… »

« Il y a un grand intérêt en France pour le chant bulgare », explique Milena Jeliazkova, la professeur de chants polyphoniques bulgares, qui est également membre du groupe vocal Balkanes et titulaire par ailleurs d’un DESS en musicologie sur « La conservation de l’identité bulgare à travers les chants traditionnels bulgares féminins ». « Cela fait 12 ans que j’anime en France des cours et master-classes de chant polyphonique bulgare ». Et en effet, parmi la demi-douzaine d’étudiantes qui répètent un nouveau chant appris à l’oreille à l’instant même, aucune n’est d’origine bulgare. Clara, qui vient de Marseille, a découvert ces chants sur internet, et a été séduite ; Yaël, qui vient de Paris, et qui a une longue pratique vocale acquise en Conservatoire dans l’hexagone, apprécie la complexité de ces chants, qu’il faut apprendre sans aucune partition musicale, à l’oreille seule, avec seulement les paroles bulgares retranscrites phonétiquement en français. Et devant mes yeux et mes oreilles admiratives, Milena la professeur de chant apprend successivement à ses élèves les 5 voix de cette chanson d’amour traditionnelle, qu’elles reprendront, au bout d’une demi-heure à peine, toutes ensembles en une polyphonie apprise oralement à l’instant même.

Traditions orales… Heureusement la technologie moderne vient aujourd’hui au secours de la tradition, et, pendant que Milena chante la voix numéro un, puis la numéro deux, puis la numéro trois, des étudiantes enregistrent les voix avec leur téléphone portable : car à la maison, il faudra travailler ce chant, et travailler de mémoire un chant sans partition, ça n’est pas toujours facile…

Dans le cours de Françoise Atlan, qui enseigne les chants et musiques judéo-espagnoles, les étudiantes apprennent à réaliser des variations et improvisations vocales, à partir d’un canevas mélodique. Les accompagnant au piano, Françoise Atlan leur apprend cet art difficile de l’improvisation vocale, mais aussi toute la gestuelle qui doit accompagner ces chants, avec les mouvements des bras et des mains…

Pendant la pause-déjeuner, qu’elle passe aujourd’hui en compagnie des professeurs et étudiants réunis, Margaret Dechenaux affiche en cette fin d’année scolaire le visage heureux des personnes qui ont concrétisé un rêve. Cet institut, c’est elle qui l’a imaginé, et qui le dirige, avec enthousiasme et énergie. Elle a réussi à nouer un partenariat avec le Conservatoire d’Aubagne, qui abrite les cours et master-classes, et qui a également mis des locaux à disposition pour héberger les bureaux et l’administration de l’IIMM. Et des partenariats sont en cours avec les conservatoires de Tessalonique, d’Alger, de Shanghaï ou de Mumbay.

Au fait, pourquoi Aubagne? « La ville est très dynamique culturellement. Et la région Marseille-Provence est très riche en musiques du monde». Des projets pour l’année prochaine ? « Poursuivre sur cette dynamique, élargir la palette géographique des cours et master-classes, et attirer plus d’élèves encore ! ».

Nadia Khouri-Dagher

(Photos N. Khouri-Dagher)

En savoir plus : http://iimm.fr