HUM TRIO, “Lei passa tèms”, Autoproduction d’artiste
Les Français se passionnent pour les “musiques du monde” et pour ces artistes exotiques d’Afrique ou d’Asie qui mixent tradition et modernité. Mais la même démarche est aussi à l’oeuvre en France, et il serait peut-être temps d’entendre, autrement que sous l’étiquette “trad”, parce qu’ils ont énormément évolué, ces artistes français qui, à leur manière douce et non-violente, revendiquent aussi leurs racines et leurs identités, tout en étant solidement arrimés à la contemporanéité. Le Trio Hum, composé de trois jeunes musiciens, et basé à Montpellier, en fait partie.
Petit retour en arrière sur le renouveau des musiques occitanes, dont témoigne le livre récent d’Elisabeth Cestor et Augustin Le Gall, “La vie en oc. Musique! (Editions Carnets Méditerranéens, Marseille – www.carnetsmed.com ).
Ce renouveau musical a accompagné un renouveau littéraire, l’un n’allant pas sans l’autre car pour chanter en occitan il faut des textes. Comme l’écrit Robert Lafont dans la préface de “L’anthologie de la nouvelle littérature occitane” de Giovanni Agresti (Editions Jorn, 2004, édition bilingue),
“Des écrivains d’un type nouveau, qui n’accordent plus rien au pittoresque, choisissent de labourer plus profond que leurs aînés la part d’héritage, d’éprouver la saveur des vieux mots restaurés en dignité aux ouvroirs modernistes, et d’ouvrir en même temps l’enclos familial aux souffles du monde”.
Joan-Ives Roier fait partie de ces nouveaux auteurs occitans. Spécialiste de la tradition orale dans la région de Forcalquier en Haute-Provence où il vit, collecteur de contes et de chansons et conteur lui-même, ce sont ses poèmes du recueil “Les tèms passa” (Editions Jorn), qu’ont mis en musique le jeune trio Hum (“hum” signifie “fumée” en gascon). Poèmes aux thèmes intemporels dont nous vous offrons un extrait, en v.o., pour goûter cette langue occitane qui fut la langue dans laquelle s’écrivirent les premiers poèmes en Occident, car elle était la langue des troubadours. Langue populaire car parlée, et non pas savante comme le latin dans lequel s’écrivaient tous les livres alors – véritable révolution et subversion à l’époque.
“La luna ei dins son plen e lo vuege dins ieu
creisse coma un chiron s’entrauca dins la fusta ;
faudriá que lo fustier vèngue d’una man justa
xilofenar mon còr en me durbent lo sieu…”
Mais je vous rassure: moi non plus je ne parle pas l’occitan, et pas besoin de le comprendre pour apprécier ce disque du Trio Hum, de la même manière que l’on apprécie un disque malien sans parler bambara ou les chansons des Rolling Stones sans comprendre toutes les paroles. Aimé Brees à la clarinette et au chant, Vincent Crépin à la guitare et au bouzouki, et Christophe Montent aux percussions (riq, daf, zarb,…) nous offrent ici un voyage aux sources de l’Occitanie, qui fut longtemps irriguée d’influences orientales.
Et l’on reste scotché, à l’écoute de certains morceaux, par l’extraordinaire parenté des rythmes et mélodies entre Occitanie et Orient: l’oreille seule dit, mieux que mille analyses savantes, à quel point ces cultures furent – et sont sans doute restées – proches. Ainsi dans “Como la molineta”: comme une moulinette, la musique s’égrène, sur un rythme circulaire dont on ne sait s’il est un rythme arabe ou celui d’une danse paysanne européenne d’autrefois, qui se dansait en ronde… Et le son sourd de la percussion qui rythme, à intervalles lents, les mélodies, est à la fois parent de ces percussions qui rythmaient les longues marches et processions médiévales, et qui rythment toujours la musique orientale à ce jour…
Les références à l’Orient sont parfois beaucoup plus explicites, comme dans la pièce “Irish Muslim”, où la clarinette d’Aimé Brees évoque clairement celles que l’on entend du côté d’Istanbul… Et l’on apprend, étonné, dans le livret, que ce thème… est un arrangement, tout oriental donc, d’un traditionnel irlandais! Voyage, voyages…
Le trio Hum nous offre sa vision d’une occitanie enracinée dans une langue et des rythmes séculaires, mais aussi ouverte à tous les vents, et aussi à la modernité, comme en témoignent l’irruption d’un chant hindi dans “La curat de Lurs”, des évocations de transes africaines, musiques répétitives et hypnotiques, ici et là, ou le final de “Lo Peire”, très pop-rock…
Si vous voulez entendre l’Occitanie moderne, contredire tous ceux qui croient qu’internet est en train d’uniformiser le monde et que la modernisation tue les traditions…
Les écouter: http://www.youtube.com/watch?v=0wpUls6YtfI