CARMEN CUBANA, Comédie musicale au Théâtre du Châtelet, du 15 au 30 avril 2016
Georges Bizet était Cubain. Et sa Carmen aussi. Non bien sûr, mais cela aurait pu être : tel est l’argument de la comédie musicale anglo-cubaine « Carmen Cubana », présentée actuellement au Théâtre du Châtelet à Paris en création mondiale, adaptation du célèbre opéra de Bizet en version « rythmos cubanos », transposition tout à fait réussie de la célèbre histoire d’amour entre une cigarière et un jeune soldat à Séville au XIX° siècle, dans la Havane des années 50 au moment de la Révolution castriste.
Pourquoi avoir transposé cet opéra à Cuba ? La réponse tombe sous le sens : les thèmes musicaux de cet opéra, créé en 1875, alors que l’Espagne est très à la mode en France, et Cuba une île prospère qui accueille nombre d’opéras et d’opéras-comiques venus d’Europe (voir le livre de Alejo Carpentier, « La musique à Cuba », Gallimard, 1985), reprennent déjà nombre de mélodies et de rythmes hispanico-cubains.
Par exemple, l’air mondialement connu que chante Carmen dans« L’amour est enfant de bohême » n’est autre qu’une… « Habanera », rythme chaloupé né des métissages et allers-retours entre musiques hispaniques et musiques afro-cubaines (Au fait, savez-vous que pour ce thème, mondialement connu, Bizet a tout simplement repris une chanson, « El Arreglito », composée par l’Espagnol Sebastian Iradier ?
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Le rideau s’ouvre sur des rythmes de tambours joués seuls, sans autre accompagnement musical, et sur une femme toute vêtue de blanc, telle une prêtresse de « santeria », la religion afro-cubaine, qui chante un chant dans une langue venue sans doute d’Afrique. On est tout de suite très loin de la partition et des personnages de Bizet… Entrent ensuite sur scène une foule de chanteurs et danseurs, tous vêtus de blanc également, qui vont exécuter une rumba endiablée, sur des rythmes de tambours et de congas, en chantant en espagnol, et non pas en français : ça y est, la magie de la musique cubaine a joué, toute la joie de vivre de l’île a envahi le théâtre d’un coup, et le public est déjà enthousiaste à l’issue de cette ouverture, si l’on en juge par le volume d’applaudissements !
Tout le spectacle sera à cette image, et Alex Lacamoire , qui a assuré l’adaptation musicale de cette oeuvre, a habilement dosé des compositions originales, comme cette ouverture, avec la musique de Bizet, reprise plus fidèlement pour les célèbres arias que compte l’opéra original – arias et dialogues transposés plus que traduites en espagnol, si l’on en juge par le vocabulaire salé voire argotique de certaines répliques…
Pour la mise en scène, l’époque est campée par le décor : dès l’ouverture, un grand drapeau cubain portant la célèbre étoile révolutionnaire orne le fond de la scène, et dans le 2ème acte, des projections d’images d’archives de Fidel Castro à l’époque et de ses soldats acclamés par la population, ainsi que des cris chantés par le choeur, « Viva la Revolucion ! », situent clairement l’époque. Quant à Carmen, la cigarière imaginée par Mérimée dans l’oeuvre littéraire qui inspira Georges Bizet est plus que plausible lorsqu’elle apparaît, cigare à la bouche, sortant non pas d’une fabrique de cigarettes à Séville, mais d’une fabrique … de cigares, spécialité de Cuba !
Dans le rôle de Carmen, Luna Manzanares, chanteuse à succès à Cuba, et dans celui de José, Joel Pietro, formé au chant classique, ne nous ont pas époustouflée – à l’exception de la merveilleuse Raquel Camarilla dans le rôle de Marilu. Mais ce qu’il y a de formidable dans cette comédie musicale, ce ne sont pas tant les voix et les pièces chantées – mis à part , que les pièces dansées : car à Cuba la musique n’a d’autre fonction que de faire danser, et les morceaux exécutés par les danseurs – tous cubains, car le spectacle est donné par une troupe 100% cubaine, venue de Cuba – sont enthousiasmants ! Le chorégraphe, Roclan Gonzalez Chavez, a eu la bonne idée de privilégier les pièces où tous les danseurs sont sur scène, ce qui est tout à fait impressionnant – ici peu de « pas de deux » et autres danses d’amoureux comme on en trouve dans les comédies musicales américaines des années 50.
Le public a applaudi à tout rompre à la fin du spectacle, et la surprise offerte au public pour lui dire au-revoir est un joli cadeau aussi, « bonus » offert par la troupe. Nous sommes personnellement fan de comédies musicales, et de musiques cubaines, et nous sommes resssortie du spectacle emplie d’énergie et de gaieté ! Et je suis certaine que si Bizet avait ressuscité dans la salle, il aurait sûrement été très heureux de cette réappropriation de son oeuvre !
Tout comme la habanera est une musique et une danse nées des métissages entre l’Europe et Cuba, les oeuvres musicales voyagent également de nos jours, et la Carmen andalouse de Mérimée et de Bizet, qui était déjà devenue américaine avec le film d’Otto Preminger « Carmen Jones », est aujourd’hui cubaine, et pourquoi pas demain, chinoise ou africaine?