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CORÉE – MARSEILLE – FESTIVAL JAZZ 5 CONTINENTS : YOUN SUN NAH, UNE CRÉATIVITÉ INOUÏE

Photo : Seung Yull Nah 

Marseille est une ville formidable, qui offre à ses habitants pendant tout l’été une foison de festivals et de concerts en plein air, de tous styles de musique et de spectacles, pour tous les âges et tous les goûts, dont de nombreux spectacles gratuits.

Parmi ces événements, le Festival Marseille Jazz des 5 Continents (www.marseillejazz.com) , qui fête cette année son 25ème anniversaire, est l’un des rendez-vous incontournables de l’été. A noter : le festival inclut des concerts qui s’étalent de juin à décembre, et rayonnent dans tout le territoire provençal. A noter aussi : en première partie, des groupes émergents sont programmés, le festival ayant vocation de découvertes aussi.

Hier soir mercredi 2 juillet, dans ce lieu magnifique qu’est le cloître XVIIème siècle de La Vieille Charité dans le quartier du Panier, la chanteuse sud-coréenne Youn Sun Nah était à l’honneur. En première partie nous découvrions le talentueux jeune groupe de jazz marseillais Salma Quartet, mené par la surdouée Salma Blanchard au piano, qui nous offrait nombre de ses compositions, musicienne fraîchement diplômée, comme ses accolytes, du Conservatoire Pierre Barbizet – en section jazz bien sûr (rappelons que le Conservatoire de Marseille fut, le premier en France à offrir une formation musicale en jazz – c’était en 1963). 

Nous avions découvert Youn Sun Nah sur France Musique, il y a plusieurs années – très certainement dans l’émission-culte « Open Jazz » de l’ami Alex Dutilh. Et tout de suite, nous avait frappée l’ORIGINALITÉ de cette  artiste, parmi la pléthore de « chanteuses de jazz » venues de tous pays. Son pays d’origine d’abord, car c’est à notre connaissance la première artiste de jazz sud-coréenne à connaître le succès sur la scène internationale. 

Mais son style surtout, dont nous avons pu pleinement prendre la mesure en l’écoutant en live. Youn Sun Nah ne « reprend » pas des standards de jazz : l’artisste s’empare de compositions qu’elle aime et leur redonne vie en les remodelant totalement, un peu comme un enfant prendrait une sculpture en pâte à modeler et en ferait autre chose, qui rappellerait néanmoins l’objet initial. Et d’ailleurs ces compositions dont s’empare l’artiste n’appartiennent pas forcément au domaine labellisé « jazz ».

Surtout, elle crée des effets de voix d’une liberté totale, allant parfois jusqu’aux aigüs d’une soprano lyrique, parfois jusqu’aux cris d’un chant tribal. Et habitée totalement par sa musique, telle une tragédienne, Youn Sun Nah s’exprime non seulement par la voix mais avec d’amples mouvements des bras et des mains, qui s’envolent, qui dansent ou qui scandent, accompagnant la voix et l’amplifiant en quelque sorte. 

Ainsi, elle nous offrait une version époustouflante de « Asturias », composition pour guitare (si complexe à jouer avec cet instrument – et donc à chanter !) d’Isaac Albeniz, version non pas en scat mais dans une langue totalement imaginaire, version d’une haute virtuosité ! 

De même, elle s’emparait de ce « tube » de Grace Jones, «I’ve seen that face before » (1981), variation sur le célèbre thème « Libertango » d’Astor Piazzola, et nous en offrait une version toute personnelle, qui nous faisait totalement redécouvrir ce titre, avec ses allusions, en français, à la vie nocturne parisienne. 

Pour l’accompagner, deux pianistes d’exception, qui accompagnaient Youn Sun Nah dans sa folle inventivité : le Belge Eric Legnini et le Français Tony Paelman, qui échangeaient leurs places, tantôt au piano à queue tantôt au clavier avec effets électroniques – car l’électronique décuple l’inventivité et les effets sonores. (Ah et aussi : l’artiste s’accompanait parfois d’une sanza, et interpréta un morceau seule sur scène, accompagnée d’une… petite boîte à musique, dont elle déroulait patiemment le papier !). 

Enfin, saluons le travail remarquable de la régie lumière, qui nous offrait, comme toujours pour les concerts de Marseille Jazz en ce lieu historique magnifique, des jeux de lumière poétiques et vaporeux, les arcades de pierre de la Vieille Charité s’éclairant de roses, d’oranges, de bleus et autres couleurs ou effets de lumière, au fil du concert. 

Un moment de grâce, donc, sous le ciel clair d’été où dansaient aussi les nuages, et qui lui aussi changeait de couleur avec la nuit qui avançait doucement. Ah les concerts en plein air, la magie pure… Comme aux temps où s’inventa le concept même de spectacles, ici même sur ces rives de Méditerranée, ces temps antiques dont nous restons les fiers héritiers… 

Nadia Khouri-Dagher – n.khouri AT orange.fr