CAETANO VELOSO & GILBERTO GIL, Two friends, one century of music, Sony Music
Disons-le tout net : ce disque est une pépite, et un objet absolument indispensable dans la discothèque de tous les amoureux de la musique brésilienne. Car le duo d’un immense artiste avec un autre immense artiste ne donnent pas seulement deux immenses artistes, mais quelque chose qui les dépasse tous deux, par cette magie de l’échange en musique, qui multiplie, plutôt qu’additionne, les ondes positives, les émotions, et nos bonheurs…
Car Gilberto Gil et Caetano Veloso ne sont pas seulement deux parmi les plus grands artistes que le Brésil ait fait naître au XX° siècle. Nés tous deux à Bahia ou dans ses environs, ils sont liés par une amitié de plus de 50 ans, et, surtout, pour avoir subi, ensemble, la prison sous la dictature militaire, pour leurs chansons qui dénoncent depuis toujours l’injustice au Brésil, la pauvreté et la misère. Puis pour avoir subi ensemble l’exil en Europe.
Les écoutant interprétant ensemble « Back to Bahia » :
[youtube https://www.youtube.com/watch?v=KulGwmOXvj8]
En Février 1969 en effet, tous deux sont arrêtés et incarcérés sans justification, comme une foule d’autres artistes, intellectuels et opposants politiques durant cette période sombre. Ils sont relâchés six mois après, mais à une condition : quitter le pays. Dans un pays où tout le monde connaît les paroles des chansons par coeur, chanter des chansons engagées est un acte plus subversif encore qu’écrire des articles, car cela la foule de ceux qui ne savent pas lire ou qui n’ont pas les moyens d’acheter des journaux, et qui sont la majorité, dans ce pays pauvre…
En juillet 1969, Gilberto Gil et Caetano donnent ensemble un dernier concert à Salvador de Bahia pour dire adieu, puis s’envolent pour l’Europe. Ce sera le Portugal, puis Paris, et enfin Londres. Ils rentrent tous deux au Brésil en 1972, à la faveur d’une relative libéralisation politique. Leur premier concert, où ils apparaissent ensemble, cette même année, est retransmis par la télévision, tant leur popularité est grande. Gilberto Gil y interprète sa chanson « Back to Bahia », qu’il a écrite dans son exil londonien, et oui ouvre ce double album publié aujourd’hui, magnifiquement interprétée ici par leurs deux voix ensemble. Gilberto Gil y évoquait sa nostalgie et sa tristesse loin de sa terre natale, quand il portait « une énorme nostalgie, comme enfermée dans un petit coffre au fond de lui », et qu’il avait envie « d’entendre Celly Campello pour ne pas tomber » – Celly Campello est chanteuse yé-yé du Brésil de son enfance…
L’album publié par Sony aujourd’hui, enregistré en live au cours d’une tournée mondiale qu’effectuèrent nos deux amis, déploie une trentaine de titres, dont certains, composés par l’un ou par l’autre, sont devenus des classiques : « É Luxo sol », « É de Manha », « Coraçao vagabundo »…
Et ce n’est qu’en se penchant sur les paroles de ces chansons – que l’on trouvera très facilement sur le net – que l’on comprend la force de la chanson brésilienne : avec des mélodies et des voix très douces, et des mots très simples, dénoncer, comme une bombe, la pauvreté, la misère, et l’injustice, qui règnent dans ce pays, depuis toujours…
Ainsi dans « Marginalia », écrite et composée par Gilberto Gil :
Moi, Brésilien, je confesse
Ma faute, mon péché
Mon rêve désespéré
Mon secret bien gardé
Ma douleur (…)
Pain sec chaque jour
Mélancolie tropicale
Solitude nègre (…)
Ma terre abrite des palmiers
Dans lesquels le vent souffle fort
Un vent de faim, de peur
Et principalement de mort
Olele, lala
Ici c’est la fin du monde
Ici c’est la fin du monde
Ici le Tiers-Monde
Demande sa bénédiction et va dormir (…)
Les revoir en 1972 lors de leur concert de retour au pays, quand Gilberto Gil chantait cette chanson dans une version très rock, avec guitares électriques et batteries puissantes, et que Caetano Veloso dansait sur scène à ses côtés :
[youtube https://www.youtube.com/watch?v=msknQAdP0DI]