BANIA, Alwane, Tourn’n’sol Prod/Absilone/Socadisc
Les musiques gnawa du Maroc sont très connues du public occidental, et bizarrement, leurs cousines les musiques appelées «diwane» en Algérie, qui sont pareillement des musiques spirituelles musulmanes dont l’héritage rythmique vient d’Afrique noire, et sont tout aussi fascinantes, commencent tout juste à se faire connaître hors de l’Algérie, même si des musiciens comme le percussionniste Steve Shehan, ou des festivals comme Les Nuits Métis à Béni Abbès, explorent depuis des années cet univers fascinant des musiques algériennes sahariennes.
Voici donc enfin un album qui leur rend pleinement hommage : le premier disque du groupe Bania, composé de six musiciens algériens… et d’un Français, à la guitare et au n’goni. «La ilah il Allah» (Il n’y a de dieu que Dieu), «Yalla sallou Nabina» (Allez, priez notre Prophète), «Ach’hadou anna M’hammadou rassoul Allah» (Je crois que Mohamed est le Prophète de Dieu), et autre formules religieuses directement tirées du rite religieux musulman, sont ici scandées, de manière répétitive, quasi-hypnotique, et sur des rythmes énergiques et enlevés, qui sont destinés à mener à la transe, dans la double tradition soufie et sub-saharienne.
Ecouter et voir les images du très beau clip «Bismillah» :
[youtube https://www.youtube.com/watch?v=f3LGoDFVO-M]
Les rythmes ancestraux, marqués notamment par les castagnettes «karkabou» (et sur le clip de «Bismillah» on entendra aussi les polyrythmies complexes créées par les seuls battements de mains, en décalage, d’une demi-douzaine d’officiants), sont réveillés ici par les accords rock de guitares électriques. Car Allah est grand comme le savent les musulmans, mais Allah n’est pas ringard et s’ouvre volontiers à la modernité, quand il s’agit de le chanter gaiment et joyeusement, comme le savait déjà David Roi des Juifs en Israël jadis, et comme le savent aussi les chrétiens noirs américains, cousins africains d’outre-Atlantique des Noirs maghrébins, qui ont considérablement dépoussiéré les musiques religieuses chrétiennes, orgue et Jean-Sébastien Bach et musiques solennelles, en y adjoignant les rythmes parfois très dansants du gospel et de la «soul music» – qui veut dire «musique de l’âme». Musiques chrétiennes modernes qu’apprécierait d’ailleurs, très certainement, le très religieux Jean-Sébastien Bach himself, s’il vivait encore de nos jours ! Ou Mozart, que les guitares rock n’effraieraient pas dans un messe de requiem, parions-le !
Bref, adeptes de la voie soufie musulmane, qui privilégient la musique et la danse comme mode d’accès à Dieu, selon une tradition qui remonte au Moyen-Age, les musiciens du Diwane algérien traditionnel, comme ceux du groupe Bania, nous montrent une facette de la religion musulmane que beaucoup d’Occidentaux continuent encore d’ignorer : joyeuse, dansante, et tolérante, car métissée et ouverte à toutes les influences, de l’Afrique…. au rock’and’roll !
Pour aller plus loin sur cette voie soufie musicale : lire le très beau livre de Jacques Lacarrière, écrivain-voyageur passionné d’Orient et de spiritualité, «La poussière du monde», récit de son voyage en Anatolie, dans les monastères soufis musulmans dits des «derviches tourneurs» qui, pareillement, ont choisi la musique et la danse pour communiquer avec le Tout-Puissant, et «chanter» – littéralement ! – ses louanges…