Le monde en musiques

CAMBODGE, LAOS & VIETNAM : MUSIQUES TRADITIONNELLES

INDOCHINE : CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM – Musiques & chants traditionnels – Coffret 3 CDs & Livret (Frémeaux & Associés)

Pour Yehudi Menuhin, il n’y a que deux mondes musicaux : l’Indo-Européen, qui inclut l’Inde et l’Afrique ; et celui de l’Extrême Orient, c’est-à-dire Chine et Japonet pays proches. Le célèbre violoniste l’explique dans son autobiographie (passionnante), « Voyage inachevé », parue en 1977 (Le Seuil).Rappelons que c’est Menuhin qui fit connaître au public occidental les musiques de l’Inde, en faisant venir en Europe, dans les années 50, son ami Ravi Shankar, joueur virtuose de sitar, cet instrument indien à cordes pincées au très long manche, que l’on joue horizontalement.

Il est vrai que les musiques d’Inde peuvent sembler à une oreille occidentale, par le lien qu’elles entretiennent avec les musiques perses et arabes, c’est-à-dire d’une aire culturelle plus proche géographiquement et historiquement. Et la preuve que les rythmes d’Afrique nous sont proches c’est que, mêlés aux musiques espagnoles et portugaises, ils font danser l’Occident depuis plus d’un siècle, sous la forme de rumbas, salsas, sambas, et autres.

Et en effet, pour une oreille occidentale, les musiques d’Extrême-Orient – et ce disque l’illustre bien – nous semblent tout à fait étrangères à ce que nous avons l’habitude d’entendre. Ce ne sont pas les mêmes écarts de notes, ce n’est pas le même sens de la mélodie, ce ne sont pas les mêmes manières d’utiliser la voix dans le chant : bref tout nous semble différent, à première écoute.

La musique est un langage, et l’on peut vouloir comprendre une langue, ou décréter tout de go que l’on n’y comprend rien. C’est la curiosité, et le goût de la découverte, qui doit servir de guide dans l’écoute de ce disque – qui ravira d’abord ceux et celles qui sont originaires de ces pays, nombreux en France et ailleurs en Occident. 

Et l’on se surprend alors à remarquer, non pas tout ce qui est différent de notre musique classique européenne ou de nos danses et chants villageois, mais tout ce qui nous rapproche, nous humains, de par le globe : ici et là l’on joue d’instruments à cordes pincées comme le luth ou la guitare ; d’instruments à cordes frottées comme le violon ; l’on frappe sur des percussions ; l’on aime utiliser la voix comme un instrument à part entière, avec des effets de modulations, des vocalises sur des voyelles, etc. 

Et l’on se surprend à ENTENDRE à l’oreille ces Routes de la Soie, qui depuis des siècles relient l’Asie à l’Europe, via le monde arabo-perse. Ainsi dans ces « mmmm » des chants du Vietnam, du Cambodge ou du Laos, l’on entend les mêmes « mmmm » chantés par Oum Kalthoum et toute la tradition du chant coranique – et nous émettons l’hypothèse que les Arabes ont emprunté à l’Asie cette manière de chanter, sans desserrer les dents… Dans tel chant du Cambodge l’on entend l’Inde et ses mélodies ondulantes. Et vous découvrirez sans doute bien d’autres ponts et points communs, ici et là. 

Une exposition avait eu lieu, il y a plusieurs années, aux Invalides, sur l’Indochine. Nous ne connaissions rien à cette aire culturelle, et nous nous y étions rendu. L’entreprise de colonisation y était décrite – en ce lieu de mémoire militaire. Nous avions été émerveillée devant les soieries richement brodées de fils d’or ou d’argent, devant des meubles en laque incrustés de nacre ou d’ivoire, et autres objets qui témoignaient de l’extrême richesse de de ces cultures. La France s’empara de ces territoires, comme elle le fit en Afrique du Nord, au Moyen-Orient et ailleurs, où des objets aussi somptueux existaient également, et inculqua aux autochtones un sentiment d’infériorité de leur culture par rapport à celle du colonisateur…

L’écoute de ces musiques, d’une extrême complexité, m’a rappelé ces soieries somptueuses et ces coffrets de bois précieux laqués et ornés de nacre, témoins semblables de civilisations forgées depuis des siècles. Civilisations tout aussi raffinées que la civilisation européenne, mais produisant des objets, et des musiques, différents…