Le monde en musiques

AFRIQUE DU SUD – VIOLONCELLE

Abel Selacoe, « Hymns of Bantu » (Warner Classics)

Voilà le 2ème album du formidable violoncelliste et compositeur (et chanteur) Abel Selacoe, qui nous avait enthousiasmée quand nous avions découvert son premier album, « Where is Home », en 2022 ! ( https://www.afrik.com/afrique-du-sud-abel-selaocoe-le-violoncelliste-qui-nous-montre-le-lien-entre-bach-et-les-chants-traditionnels-africains ). 

Abel Selacoe a grandi dans le township de Sebokeng, à une vingtaine de kilomètres au sud-ouest de Johannesbourg. Les townships sont des quartiers qui furent créés dans les années 50, en application des lois de l’apartheid, pour accueillir des populations exclusivement non-blanches. Avec les décennies, beaucoup de ces quartiers, où affluaient en masse les populations fuyant la misère rurale et où le nombre d’enfant par femme était élevé, devinrent de vastes bidonvilles, tel Soweto, où vivent aujourd’hui quelque 2 millions d’habitants. 

C’est justement à Soweto que le jeune Abel Selacoe s’initie au violoncelle, avec son frère : au sein de l’African Cultural Organisation of South Africa (ACOSA), une organisation créée en 1947 et qui inclut des écoles de musique pour tous. Doué, Abel bénéficie ensuite d’une bourse pour poursuivre ses études, puis s’envole pour la Grande-Bretagne, pour intégrer  le Royal Northern College of Music, à Manchester. C’est là qu’il va se lier avec d’autres étudiants, avec lesquels il va former les groupes musicaux Chesaba et Bantu Ensemble, avec lesquels il se produit toujours. 

Dans cet album, le musicien aux mille talents nous surprend encore davantage, et pousse encore avant son incroyable créativité, puisant à toutes les sources musicales qui l’inspirent, les mélangeant, créant ainsi quelque chose de totalement neuf : comme un cuisinier qui s’inspirerait de mille ingrédients et épices, venus des quatre coins du monde, pour concocter des recettes totalement originales. 

La culture bantoue, sa culture natale, est évidemment à l’honneur ici, comme l’indique le titre de l’album. Dans toutes ses dimensions, des chants tribaux et des musiques percussives, aux chants polyphoniques si typiques de l’Afrique du Sud, et que le monde entier a découvert dans ce film délicieux « Les dieux sont tombés sur la tête », sorti en 1980 (« Tsohle Tsohle », qui ouvre l’album – Tsohle signifie « Foi » ou « Espoir »). 

Abel vit désormais en Grande-Bretagne, où peuvent s’entendre toutes les musiques du monde, et il intègre aussi à ses créations des sons et modes venus de partout : ainsi, lui qui aime chanter aussi, inclut dans « Kea Marata », ce chant de gorge typique de Mongolie

Dans « Dinaka », la musique contemporaine – des sons sans aucun lien mélodique les uns avec les autres, et produits par des instruments divers ; et des répétitions d’une même séquence non mélodique – se marie avec des sons qui semblent venus de la campagne : là on dirait un troupeau de chèvres avec leurs clochettes, ici des artisans qui martèlent le métal comme on voit parfois sur les marchés d’Afrique ; mais la répétition d’un même motif appartient aussi bien aux bruits de la vie quotidienne qu’aux créations les plus contemporaines…

Bach, qui a sublimé le violoncelle en lui composant le sublime répertoire des Suites pour cet instrument, reste présent, déjà honoré dans l’album précédent : ici l’artiste nous offre la Sarabande de la 6ème suite. Et Abel Selacoe marie délicieusement la musique occidentale baroque et la culture bantoue, en nous offrant sa propre version de « Les voix humaines » du Français Marin Marais (contemporain de Bach, célèbre compositeur de pièces pour viole de gambe qui est l’ancêtre du violoncelle – voir le film « Tous les matins du monde », sorti en 1991, magnifique portrait de ce musicien). Cette pièce inspirée de Marin Marais s’appelle « Voices of Bantu », et  Abel utilise sa voix haut-perchée comme celle d’un haute-contre, et greffe des paroles en bantou sur ses improvisations, à partir de cette composition ancienne de musique baroque. 

Bref, un album magnifique, d’une originalité folle, d’une créativité inouïe, qui place Abel Selacoe, déjà, parmi les grands violoncellistes du 21ème siècle !