« Il était une fois Michel Legrand » : un film-documentaire formidable sur le plus grand compositeur français du XXème siècle !

Hier mercredi 11 décembre 2024, séance de cinéma à l’Arlequin, rue de Rennes à Paris, avec une amie de longue date, Huguette, fan comme moi de Michel Legrand (1932-2019). Séance de cinéma ? Bain de gaieté, de bonne humeur, d’énergie positive plutôt, qui nous rend toutes deux euphoriques, à la sortie !
Je n’avais jamais entendu parler – et sans doute vous non plus – de David Hertzog Dessites, le réalisateur du film qui sort en salles en ce moment, après avoir triomphé lors de sa présentation au dernier Festival de Cannes, en mai dernier. Et on lui tire notre chapeau !
Dès le générique, le ton est donné : un générique complètement années 60, qui vous rappelle ceux des premiers James Bond, coloré, rythmé, jazzy : trois adjectifs qui résument parfaitement la musique de Michel Legrand.
Olivier Hertzog a suivi le compositeur pendant des mois entiers, en concert, en répétition, et même chez lui à la maison en plein travail de composition. Comme journaliste-reporter, nous saluons déjà cette performance : parvenir à se faire accepter, adopter, pendant des jours et des mois, par un si grand homme, jusque dans son antre secrète – sa table de travail. Car nous verrons, en gros plan, la grande partition d’orchestre, vierge, se remplir sous nos yeux, avec sa vingtaine de lignes et plus pour inclure tous les instruments…
Michel Legrand est craquant – même s’il a parfois très mauvais caractère lorsqu’il dirige un orchestre, maltraitant les musiciens (ce que nous savions déjà, de quelques amis musiciens qui ont travaillé avec lui !). Et Claude Lelouch, ami qui lui commandera quelques musiques de film, commentera d’ailleurs à ce propos : « j’avais envie de lui casser la gueule quelques fois, parce que je n’aime pas qu’on parle mal aux gens ».
Images d’archives et images tournées pour le documentaire s’entremêlent, en un montage parfait, pour nous raconter le cheminement du grand homme, depuis son enfance. Un père musicien – mais irresponsable, qui abandonnera vite femme et enfants et fera ainsi 6 fois avec plusieurs compagnes (!) ; les années de conservatoire à Paris avec la très exigeante Nadia Boulanger ; le succès triomphal des « Parapluies de Cherbourg » et des « Demoiselles de Rochefort », premières comédies musicales françaises « à l’américaine » (et le titre du premier film est bien sûr un clin d’oeil au cultissime « Singing in the rain », avec la célèbre scène de danse de Gene Kelly sous la pluie… et sous son parapluie !) ; les années à Hollywood, où il part pour composer des musiques de film, seul moyen, comme il l’explique dans sa passionnante autobiographie, « Rien n’est grave dans les aigüs », de composer de la musique symphonique qu’écoutera le grand public ; les triomphes à l’international, avec des concerts filmés par Olivier H au Japon ou en Pologne avec leurs ovations ; les 3 Oscars reçus pour la Meilleure musique de film, fait rarissime dans la profession ; et enfin son ultime concert, à la Philharmonie de Paris, le 1er décembre 2018 – l’artiste s’éteindra quelques semaines plus tard, le 26 janvier 2019…
Le film est remarquable aussi par la quantité de témoins qui viennent chacun et chacune apporter leur éclairage sur le fascinant personnage : disparus avec des voix ou images d’archives, ou filmés pour l’occasion, d’Agnès Varda, compagne de Jacques Demy, à Macha Méryl la dernière compagne du compositeur, en passant par l’artiste lyrique Natalie Dessay avec qui il enregistra ces dernières années des chansons, ils sont des dizaines à parler, avec affection et admiration à la fois, de l’ami Michel.
Et l’on ressort du film formidablement heureuse d’avoir passé un excellent moment, formidablement triste aussi qu’un si grand homme ait disparu… Et la journaliste musicale que je suis n’a qu’un regret : n’avoir jamais rencontré le grand homme dont elle fredonne les chansons depuis des décennies… Mais me reste en mémoire la cérémonie d’hommage qui lui avait été rendue, après sa disparition, dans un théâtre parisien, et où l’émotion d’Agnès Varda et de quelques-uns de ses meilleurs amis venus témoigner sur scène, nous avait étreint le coeur… Car être doué est une chose, mais avoir vécu de vraies et profondes amitiés, certaines sur des décennies, exprime pour nous mieux que tout, quel coeur d’homme se cachait derrière l’immense artiste…
Le rire et l’humour du jazz, oui, mais Michel Legrand nous touche surtout par la formidable ÉMOTION que dégagent ses plus belles mélodies. Pour nous il est incontestablement le plus grand compositeur français du 20ème siècle, et l’un des plus grands compositeurs du 20ème siècle tout court. Éternel et vivant à jamais désormais, par ses oeuvres, qui lui survivront…
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A lire : son autobiographie, aussi formidable que l’artiste : Rien n’est grave dans les aigüs (avec Stéphane Lerouge), Cherche Midi éditions, 2013
Nadia Khouri-Dagher – n.khouri AT orange.fr