MUSIQUE INDIENNE À MARSEILLE : une musique et une culture d’un raffinement extrême

Sougata Roy Chowdhury (sarod) et Sukhdev Prasad Mishra (violon) (Photo Nadia Khouri-Dagher)

La Cité de la Musique de Marseille est un lieu unique en France, salle de concerts majoritairement dédiée aux musiques du monde, mais également conservatoire de musique pour grands et petits. 

Samedi 2 décembre dernier, nous était offert un concert exceptionnel de musique indienne, organisé dans le cadre du Festival Mehfil, 8ème édition de cette fête de la musique, danse et culture indiennes, qui rayonne chaque année entre Marseille et Aix. 

Le concert, intitulé JUGALBANDI (traduction svp ?), réunissait 4 musiciens : aux tablas, Nabankur Bhattacharya, installé à Marseille depuis 20 ans ; aux tablas aussi, Nihar Mehta, installé à Nice ; Sougata Roy Chowdury au sarod, un instrument à cordes pincées plus court que le sitar ; et l’exceptionnel violoniste Sukhdev Prasad Mishra, venu tout exprès de Bénarès, et qui était la star de la soirée. 

Nabankur Bhattacharya (photo Nadia Khouri-Dagher)

C’était un concert de musique classique d’Inde du Nord, appelée musique hindoustanie (la musique classique d’Inde du Sud est appelée carnatique). C’est la première fois que nous voyions jouer du violon à l’indienne, et nous avons été épatée par la position du corps d’abord : le musicien est assis en tailleur sur le sol, et le violon est placé verticalement, de haut en bas, depuis son menton jusqu’à… son pied nu ! Tous les musiciens étaient assis au sol, pieds nus ou en chaussettes, comme il se doit pour un concert indien. 

Ecouter Sukhdev Prasad Mishra : 

youtu.be/YxwMCggJrco?si=_oOveJncMto2898j 

Mais c’est bien sûr la MUSIQUE qui nous a envoûtée, plus de deux heures durant. Le jeu musical repose sur les mêmes règles que le jazz : les musiciens exécutent un « raga » – thème musical qu’ils connaissent, et ils vont improviser dessus, pendant une heure ou plus. Samedi dernier, la performance était d’autant plus remarquable que ces 4 musiciens jouaient ensemble pour la première fois, et n’avaient même pas répété ensemble avant le concert ! 

Nihar Mehta (photo Nadia Khouri-Dagher)

Musique hypnotique, qui tint la salle dans une qualité d’écoute exceptionnelle, presque palpable physiquement. Comme certaines pièces de la musique classique européenne, cette musique hindoustanie est intérieure avant tout, voyage au plus profond de soi, tout en étant rythmée énergiquement parfois, et même si les visages des artistes, qui ne cessaient de dialoguer entre eux par le regard pour pouvoir jouer ensemble, étaient parfois rayonnants de plus que de sourires éclatants : rayonnants de JOIE ! 

Et écoutant cette musique d’une tradition millénaire, d’une complexité et d’un raffinement inouïs, en admirant les saris délicatement brodés de fils dorés ou incrustés de pierreries des membres de l’association organisatrice, Taal Tarang, ou Indian Arts Academy, nous n’avons pu nous empêcher de nous demander comment les Anglais, débarquant en Inde, ont pu se sentir à ce point « supérieurs » aux Indiens qu’ils ont occupé leur pays et colonisés, c’est-à-dire maintenus en dépendance et sous leur domination ?….

Et cette musique de l’Inde du Nord a des parentés troublantes avec la musique persane et arabe et persane : certaines lignes du sarod ressemblent étrangement à des motifs bien familiers au ‘oud oriental, si bien que, ma rêverie se poursuivant, j’ai prolongé la même réflexion jusqu’à mes terres natales, le Liban et le Moyen-Orient, et jusqu’au Maghreb, Algérie Maroc Tunisie : comment les Français, débarquant dans ces pays qui possédaient, tout comme l’Inde, des musiques raffinées, des palais et des mobiliers incrustés de nacre et d’ivoire, des bijoux d’or et d’argent d’une maîtrise exceptionnelle, et des costumes brodés d’or et d’argent qui n’avaient rien à envier à ceux de Louis XIV ou Louis XVI, comment les Français des siècles précédents ont-ils pu pareillement se sentir « supérieurs » à ces peuples arabes et orientaux, et les coloniser ?…

Heureusement cette époque est révolue, où l’Occident se croyait supérieur aux autres cultures, parce qu’il avait sur eux la maîtrise technologique – avec les armes à feu et des flottes de navires armés de canons – et financière. Et aujourd’hui l’Inde, la Chine, le Japon, le Brésil et autres, se posent en rivaux économiques ou militaires – et pour l’influence culturelle aussi – de l’Occident…

Et l’accueil fait, partout en Occident aujourd’hui, aux musiques du monde, qui sont d’abord et avant tout des musiques de ces pays du Sud anciennement dominés, nous dit, mieux que tout, à quel point la fraternité entre les peuples a avancé, depuis Christophe Colomb, et même – c’était hier – depuis ces années 50 et 60 qui furent celles des Indépendances, années que les plus âgés d’entre nous, ou que nos parents, ont connues. 

Et pour finir je me disais, me laissant bercer par ces sons incroyables, que j’avais bien de la chance de vivre en France, où l’on peut entendre ces musiques venues du monde entier ! Musiques de tous pays qui voyagent désormais, par le biais des tournées d’artistes, des festivals, mais aussi et surtout par la magie d’internet, dans tous les pays. 

D’ailleurs à un moment du concert notre violoniste Sukhdev Prasad Mishra s’est levé, et, jouant de son instrument debout, à l’occidentale, s’est mis à improviser sur le mode d’une chaconne de Bach ! À l’issue du concert, je lui ai posé la question : c’était bien inspiré par la musique baroque, ce passage ? « Oui ! », m’a répondu l’artsite, « J’écoute des choses très différentes, et cela m’inspire ». Des cultures qui dialoguent désormais d’égale à égale : la preuve en musique !!! 

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BONUS-TRACK : Parce qu’un tel festival, organisé par une petite association comme Taal Tarang (à sa tête le couple Nabankur Bhattacharya, professeur de tabla, et son épouse Maitryee Mahatma, professeur de danse katakh) représente un travail colossal, de recherche de fonds et de partenaires, mentionnons ces partenaires, sans lequel cette fête indienne annuelle ne pourrait exister (nous ne pouvons nommer tous les bénévoles, certains rencontrés le soir du concert, à l’accueil et à l’organisation) : 

Cité de la Musique

Embassy of India – Paris

Aix-en-Provence

Arsud

6MIC

Théâtre du Centaure

Agence de voyages VPI