ALGÉRIE-KABYLIE : AMEL BRAHIM DJELLOUL, « Les chemins qui montent » (Klarthe)

Voilà un disque qui fera date, dans la discographie de la musique algérienne, mais aussi dans celle des musiques du monde. Au même titre, et avec sans doute encore plus d’impact, que le célèbre « Chants berbères de Kabylie », interprété par Taos Amrouche (1913-1976) et paru en 1967, Grand Prix du Disque à l’époque, et qui resta pendant plusieurs décennies une référence pour tous les amoureux des musiques traditionnelles algériennes – et du monde. Car c’était alors le premier enregistrement de ces chants de tradition orale qui sont en Kabylie surtout chantés par les femmes dans leurs tâches quotidiennes. 

La soprano Amel Brahim Djelloul est née en 1975 à Alger, où elle a commencé son apprentissage de la musique classique : en prenant des cours de violon d’abord, puis de chant. Formation qu’elle complètera en France, en intégrant le très convoité CNSMD – Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris. Nommée « Révélation lyrique » aux Victoires de la Musique Classique en 2007, elle entame alors une carrière internationale qui la mène aujourd’hui sur les scènes du monde entier.

Ce n’est pas la première fois que l’artiste, installée en France désormais, rend hommage à ses racines algériennes : en 2007 déjà, avec l’album « Amel chante la Méditerranée », ou en 2016 avec « Les 1001 lunes de la Princesse Boudour », Amel mettait son talent au service de ces chants de tradition orale, populaires ou savants, qui restent toujours vivants dans l’Algérie d’aujourd’hui.

En 2012, avec l’orchestre national d’Alger :  www.youtube.com/watch?v=9RPgSB1n5_g

Ce projet est né pendant le confinement, suite à la lecture qu’elle fit alors d’auteurs kabyles, comme Mouloud Feraoun, à qui elle emprunte le titre de son dernier roman : « Les chemins qui montent ». Elle mêle dans ce disque des chants traditionnels kabyles, parfois a capella comme a pu les chanter Taos Amrouche ou en duo avec un instrument ; des chansons kabyles entendues dans son enfance à Alger, interprétées alors par ces stars qu’étaient Idir et Djamel Allam, aujourd’hui disparus ; et des chansons créées pour cet album, paroles du poète Rezki Rabia et musiques du compositeur et guitariste Thomas Keck, diplômé du CNSM comme Amel. 

Ecouter : www.youtube.com/watch?v=wkXfdB_sGSY

Autour d’Amel, une quinzaine de musiciens sont réunis, venus du monde classique ou de celui des musiques traditionnelles. Guitare, violon, alto, violoncelle,  viole de gambe et contrebasse dialoguent ainsi avec ces instruments à cordes typiques de la musique algérienne que sont le ‘oud et la mandole, mais aussi avec ces percussions villageoises que sont la derbouka, le daf, le bendir et le tar.  

Le résultat est magnifique – d’autant qu’Amel n’est pas kabyle, et a dû apprendre à chanter ces poèmes – qui lui furent traduits par Rezki Rabia – et à leur donner chair et expression, comme si c’était sa langue natale. Et la réussite est totale : car même si nous ne comprenons pas un mot de kabyle, l’émotion est là, qui vous étreint – et vous emporte. 

Un immense bravo à Amel et à tous ses amis musiciens et poète. Un ami mélomane qui vit à Nantes, Denis, m’a appelée il y a quelques jours pour me faire partager son enthousiasme suite au concert qu’Amel Brahim Djelloul donnait dans cette ville. Chanter les chansons qui vous ont émue enfant, dans l’une des langues de son pays natal, pour un public international : quel immense bonheur pour une artiste ! 

Décidément, la nouvelle génération d’artistes de musique classique issue des pays du Sud veut vraiment réparer un préjudice, et donner à entendre au monde entier, ces chants et musiques traditionnels qui furent dénigrés, méprisés – ou tout simplement ignorés – pendant les décennies – ou plus – que durèrent les colonisations. Les « occupations » comme dirait la romancière-historienne Jennifer Richard…

amelbrahimdjelloul.com 

klarthe.com