DANIEL BELLEGARDE, Anba Tonèl (Conseil des Arts et des Lettres du Québec & Conseil des Arts du Canada)
Voici un album que nous avons mis sur notre platine sans rien connaître de l’artiste, disque arrivé par la poste en provenance du Canada, sans infos ET sans dossier de presse, et que nous avons immédiatement adoré !
Daniel Bellegarde, dont voici le premier album, est un percussionniste haïtien installé au Canada, et il doit bien aimer danser, ou faire danser les gens, car son album est un hommage très réussi aux danses antillaises – Haïti, Martinique, Guadeloupe et Dominique.
Et ce que nous avons aimé dans ce disque, c’est, d’une composition à une autre, ce mélange d’anciennes danses venues d’Europe, telles la contredanse, le quadrille ou le menuet, avec des rythmes caribéens comme le « son » cubain, et avec des rythmes venus d’Afrique. Ces mariages donneront par exemple un style de danse baptisé « menuet-Congo », appellation qui dit mieux que tout ce métissage des genres.
L’album s’ouvre par des chants collectifs seulement rythmés de percussions, qui évoquent immédiatement une musique destinée à être jouée et entendue en groupe : c’est un chant vaudou traditionnel de Haïti. Puis suit un quadrille dont l’introduction ne laisse en rien soupçonner qu’il est antillais, et qui pouvait aussi bien être joué à Paris, Londres, Madrid ou la Nouvelle-Orléans, au XIX° siècle. Le troisième titre évoque immanquablement les rythmes cubains, et ce style typique de l’île baptisé « son » ; sur ce rythme cubain viennent se greffer les paroles d’un long poème récité : technique empruntée au rap pensons-nous d’abord, avant d’apprendre par le livret qu’il s’agit d’un genre traditionnel appelé « twoubadou de Haïti » : preuve à nouveau que le rap et la pose d’un texte parlé sur de la musique n’ont rien inventé, héritiers directs de nos troubadours d’Europe…
Et ainsi de suite… L’ensemble du disque est donc délicieux, inventif, varié, et vous donne des fourmis dans les jambes : à l’écoute, vous n’avez qu’une envie : filer dans un festival de danses antillaises pour vous mêler à la foule et danser à votre tour ! Le titre « Anba Tonèl », mots créoles que votre humble servante ne parle pas et ne peut donc traduire, composition inspirée des contredanses de Haïti, est d’ailleurs explicite : les paroles sont celles qui guident les danseurs et danseuses pour l’exécution des figures parfois complexes, et obligatoirement synchronisées entre tout le groupe de danseurs/danseuses, de ces danses d’autrefois, qui se dansent à deux mais surtout en groupe, chacun changeant de cavalier/cavalière au fil des figures …:
« Attention cavaliers cavalières, formez les rangs !
Présentez… cavaliers !
Saluez !
Formez le 8 !… «
etc.
La bonne nouvelle, pour ceux d’entre vous qui vivent au Canada, c’est que Daniel Bellegarde se produira au Festival Kafé Karamel, à Gatineau au Québec, ce 28 juillet 2018. Et parions que le public dansera autant qu’écoutera cette joyeuse bande de musiciens !
Et nous saisissons cette occasion pour saluer la mémoire de ces millions d’esclaves noirs, déportés d’Afrique ou nés en captivité, pendant des siècles, qui eurent l’intelligence de ne prendre et garder de la culture européenne dans laquelle ils étaient plongés, que le meilleur : et notamment la sophistication de la musique, et le goût des bals et amusements, si vivaces avant la Révolution Industrielle. Voilà pourquoi les joyeux carnavals et le goût de la danse survivent encore aux Caraïbes et en Amérique du Sud (« bailar »! Carnaval de Rio! etc.), alors qu’ils ont quasiment disparu d’une Europe où depuis le XVIII° siècle et l’invention de la machine, l’on pousse les gens à ne plus penser qu’à travailler, faire carrière, gagner de l’argent, une Europe (et une Amérique du Nord, sa fille) où les danses collectives et l’amusement populaire et collectif ont quasiment et tristement disparu… Et où il faut une Coupe du Monde gagnée pour que la foule s’autorise à exprimer sa joie dans les rues, collectivement… Mais où sont les danses et carnavals d’antan, dans cette vieille Europe ?…
Saluons aussi la mémoire de feu la journaliste Chantal Jolis, qui avait encouragé Daniel Bellegarde à réaliser cet album, journaliste française qui avait choisi de s’installer au Canada, faisant carrière à Radio-Canada et y devenant très populaire, et créant le département « musiques du monde » de cette radio nationale… Comme quoi nous plumitifs qui écrivons sur ces « musiques du monde » pouvons parfois servir à quelque chose…!
Un grand bravo donc à Daniel Bellegarde pour ce premier album superbe, qui en augure bien d’autres à venir !