« LA VIE EN OC, MUSIQUE! », d’Elisabeth Cestor et Augustin Le Gall (Editions Carnets Méditerranéens, Marseille)
“La vie en oc. Musique!”: sous ce titre vient de paraître un beau livre, texte d’Elisabeth Cestor et photos d’Augustin Le Gall, sur la renaissance de la musique d’oc en Provence (Editions Carnets Méditerranéens, Marseille). Le texte est bilingue français-occitan: fierté occitane oblige!
Ils étaient une poignée, dans les années 60 et 70, à se lancer sur scène en osant chanter en langue d’oc: à la faveur de ces années folk et hippies de “retour à la terre”, c’est-à-dire aux racines, qui étaient des années de contestation de l’ordre mondial et d’affirmation des minorités c’est-à-dire des identités (noirs, femmes, Indiens des deux Amérique, Bretons, Celtes, Occitans etc.), quelques premiers groupes d’artistes virent le jour, qui chantaient à nouveau en occitan, comme leurs ancêtres l’avaient fait jusqu’à Jules Ferry.
Jan-Marie Carlotti, fondateur du groupe Mont-Joia, ou Claude Martí, étaient de ceux-là. Aujourd’hui sur youtube, les jeunes artistes qui reprennent leurs chansons occitanes suscitent des commentaires passionnés – en français, et en langue d’oc!: “Marti et cette chanson représentent de grands moments de ma vie d’engagé occitan”; “ Superbe chanson et témoignage d’une période d’engagement déjà oubliée”; “Bien plus que du folklore , c’est une culture”; “Occitans, peuple debout, fier et fraternel !”…
Aujourd’hui surtout, les artistes et groupes qui chantent en occitan ne sont plus une minorité qui plaît à un petit public engagé dans un combat identitaire ou politique: à l’heure où l’altermondialisation est devenu une évidence pour la majorité des citoyens au Nord comme au Sud, l’une de ses composantes essentielles, la défense des identités et cultures locales, semble installée dans nos sociétés de manière durable.
Voilà pourquoi des groupes récents comme Moussu T e lei Jovents, mené par Tatou, ou Lo Cor de la Plana, mené par Manu Théron, qui mêlent l’occitan au français dans leurs chansons, rencontrent un succès auprès d’un très large public, et pas seulement dans leur région de Marseille-Provence – il faut les voir en concert à Paris, Nantes, ou Berlin. Ces artistes ne sont pas considérés comme des artistes “occitans” ou “défendant l’Occitanie”, mais comme des musiciens, issus de la région Marseille-Provence, qui chantent dans la langue de leurs aïeux de la même manière qu’un artiste algérien chante en arabe et non en français, ou qu’un artiste malien chante en bambara: enracinés dans leur région.
Le livre dresse ainsi le portrait photographique d’une vingtaine de ces artistes qui valorisent les langues et musiques d’oc dans leurs créations, qu’ils le fassent depuis 30 ans ou qu’ils soient nés il y a 20 ans – car le mouvement séduit les jeunes. On croisera donc ici, entre autres, Daniel Daumas, Jean-Luc Domenge, André Gabriel, Sam Karpienia, le Choeur de la Roquette, Miquèu Montanaro, ou Renat Sette.
Le texte du livre est signé de la sociologue Elisabeth Cestor, qui travaille sur le renouveau des musiques occitanes (on lui doit notamment l’ouvrage Les musiques particularistes : chanter la langue d’oc en Provence à la fin du xxe siècle, Paris, L’Harmattan, 2006). L’introduction du livre retrace ainsi, de manière claire et concise, l’histoire de ce renouveau depuis les années 60, et donne la parole à nombre de ses acteurs. On voit ainsi comment a évolué l’occitanisme, qui inspire désormais des groupes de reggae comme le Massilia Sound System ou d’électro comme Daqui Dub, et se métisse de rencontres avec des musiques d’autres pays, comme aime le faire un Miquéu Montanaro. “Les musiques d’oc font désormais pleinement partie de l’avant-garde musicale contemporaine”, analyse Elisabeth Cestor. Et Sam Karpienia défend la vision moderne de l’occitanisme comme “tradinnovation” au plan musical, et politiquement comme”un occitanisme cosmopolite, libertaire, anti-raciste, anti-fasciste, qui n’est pas sur des questionnements identitaires mais dans une quête philosophique”.
Très loin donc du musicien jouant de la flûte-galoubet et du tambourin, emblème des musiques provençales, et des chansons traditionnelles qui chantaient les Jeannette ou les moissons, les musiciens qui vivent entre Arles, Marseille, Draguignan et Nice (le livre couvre la partie Est de la culture d’oc en France) sont de plus en plus nombreux à inventer de nouveaux sons et de nouvelles mélodies tout en puisant leur énergie et leur inspiration dans une tradition musicale que la modernité n’a pas réussi à faire disparaître. Dans ce livre, symboliquement, beaucoup ont posé dans la maison de leurs grands-parents ou de leurs aïeux, où ils vivent désormais…
Une remarque pour finir: on aurait aimé avoir les photos légendées, au lieu de se reporter à la fin de l’ouvrage…
La vie en oc. Musique!, Textes Elisabeth Cestor, photos Augustin Le Gall, Editions Carnets Méditerranéens (Marseille), 2011
Une vidéo d’explication sur le galoubet et le tambourin: http://www.youtube.com/watch?v=6xjGmcTlblM
Ecouter “Diga Janeta”, par Mont Jòia: http://www.youtube.com/watch?v=Wq18Uad3EO0
Ecouter “Lo pais que vol viure” de Martí: http://www.youtube.com/watch?v=vGgj6w4Wo00